Le 26 avril 1986, un concours de circonstances où les erreurs humaines ont largement contribué à transformer en grande catastrophe ce qui aurait pu n'être qu'un incident, a fait sauter le réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Située tout au nord de l'Ukraine, presque à la frontière avec la Biélorussie, cette centrale au graphite (et non à l'eau pressurisée comme en France) a couvert l'Europe entière d'un nuage de particules hautement radioactives.
L'Europe s'est mobilisée de façon terriblement dispersée. Autant certains pays ont alerté (la Norvège la première), réagi en aidant à circonscrire la diffusion de produits contaminés (légumes, lait, champignons, plantes aromatiques), autant d'autres se sont défendus de toute mesure pour des raisons idéologiques. La France en premier, où "les élites" sont les grands-prêtres de la religion du Nucléaire, a refusé toute mesure, parce que.... eh bien parce que pour elle il ne s'est rien passé et Superdupont a repoussé le nuage juste au-delà de la frontière. La lavande de Provence et les fromages corses en savent quelque chose.
Peut-on faire un bilan ? Il n'est pas aisé, car certaines statistiques n'ont jamais été publiées, certaines analyses non plus. Lobby du nucléaire oblige. Malgré tout on peut considérer que trois cent mille personnes au minimum sont décédées assez rapidement de contaminations externes (pour avoir touché des zones contaminées), comme internes (par inhalation de poussière ou ingestion de fruits, légumes ou produits laitiers). Parmi ces personnes, et en première ligne, les "liquidateurs" (ils étaient un million, par roulements) furent aux premières loges pour manipuler souvent sans protection les substances dangereuses. S'y ajoutent tous les cas moins facilement associés à ce risque, et qui peuvent être très nombreux. Il faut penser aussi aux enfants qui sont nés avec des anomalies, ou aussi aux nombreuses fausses couches en raison de fœtus non viables.
Cela n'empêche pas " les Autorités ", encore aujourd'hui, de déclarer que tout va très bien, Madame la marquise. L'École Polytechnique (dont on peut admirer l'humour à considérer le nucléaire comme une énergie durable, alors que ce sont les EFFETS qui sont durables) s'y entend, pour couvrir les traces, par la rétention d'information, par les menaces, par la révocation de trublions "indiscrets". Les différents organismes ad hoc dont les noms changent souvent - sans doute pour brouiller les pistes - ne communiquent que le moins possible de données, voire des données tronquées ou biaisées. Il est heureux que des citoyens responsables, eux, aient réussi à monter la CRIIRAD. Ce centre où les bénévoles compétents sont très motivés nous en a appris beaucoup. Précisément parce que le monde politique a tout nié en bloc, c'est sa détermination qui en a rendu la présence si utile. Sa compétence a d'ailleurs été précieuse à Fukushima : là encore les autorités nippones, très frileuses en ce qui concerne le nucléaire, en ont dit le moins possible, et se sont ingéniées à apporter des informations erronées, tronquées, manipulées.
Tchernobyl, Fukushima, et le reste. A chaque fois, le puissant lobby international du nucléaire barre le chemin au besoin de comprendre. Qui dit nucléaire, dit militaire, toujours. Toujours. Doit-on rappeler que l'Organisation Mondiale de la Santé, à Genève, est même officiellement sous la coupe de l'Agence Internationale de l'Énergie Nucléaire, de Vienne ? (et non l'inverse) Cela en dit long. En été 2011, à la suite du désastre de jour en jour plus grave de Fukushima, le Premier Ministre Naoto Kan a limogé son très pro-nucléaire ministre de l'énergie. Presque aussitôt une motion de censure l'a renversé, et aujourd'hui c'est le très pro-nucléaire et très autoritaire Abe qui le remplace.
Et demain ? Désormais notre Terre tout entière est sous le risque à la fois des conséquences de ces deux catastrophes, l'une il y a trente ans aujourd'hui, l'autre cinq ans depuis le 11 mars. On n'ose même pas évoquer les autres catastrophes moins graves sans doute, mais dont insidieusement les effets s'ajoutent. Je pense en particulier "à l'incident" de Maïak de 1957, tout de même à l'échelon 6... mais dont on n'a su la nouvelle que très longtemps après. Maïak est un peu au nord de Tcheliabinsk, soit pas très loin du Kazakhstan. Il ne reste plus qu'à espérer que cette accumulation de radiations ne compromette pas trop l'avenir de l'humanité.